Le monde du sertão habite les grandes villes brésiliennes. Figures d’exilés ruraux dans le roman brésilien contemporain, par François Weigel

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Les Chantiers de la Création
Revue Pluridisciplinaire en Lettres, Langues, Arts et Civilisations

https://journals.openedition.org/lcc/1601

Le monde du sertão habite les grandes villes brésiliennes. Figures d’exilés ruraux dans le roman brésilien contemporain.
François Weigel

Résumé:

Les écrivains brésiliens des années 1930 ont été les premiers, dans la fiction de leur pays, à pointer avec autant d’acuité les bouleversements entraînés par le passage d’un monde agricole à une économie essentiellement urbaine. Les raisons de l’exode rural sont à la fois structurellement économiques et écologiques, la région semi-aride du sertão, au nord-est du Brésil, étant particulièrement affectée par les sécheresses. Dans la fiction actuelle, c’est le monde urbain qui domine, et cependant, parmi les orientations intéressantes du roman contemporain, un élément frappant est le regard singulier, proposé par certains romanciers, sur les trajectoires d’exilés ruraux qui, souvent pour fuir la sécheresse, ont rejoint les principaux centres urbains du pays.

The Brazilian writers, in the thirties, were the first to put a stress, with such acuity, on the transformations provoked by a passage from a world essentially rural to an economy mainly urban. The causes of rural exodus are both structurally economic and ecologic, and the dryness particularly affects the semi-arid region of the sertão, in the Northeast of the country. In the current fiction, the urban world is on the foreground, and yet, among the main orientations of the contemporary novel, a striking element is the singular focus, proposed by some writers, on the trajectories of rural exiled people that, moreover in order to flee from the dry areas, were going to the main urban places of the country.

Le dernier paragraphe de Vies arides (1938), le grand roman de Graciliano Ramos, accompagne la marche tragique de Fabiano et de sa famille, gens rudes des campagnes, qui fuient la famine et quittent leurs arides terres d’élevage avec l’espoir de trouver ailleurs de quoi vivre décemment. « Et ils marchaient vers le sud, enfoncés dans ce rêve. Une grande ville, pleine de gens vigoureux » (158).De la même façon, Chico Bento, sa femme et ses enfants, personnages de La terre de la grande soif [titre original : O Quinze] (1930), roman de Rachel de Queiroz, obtiennent une aide pour payer des billets d’avion vers São Paulo, parvenant à sortir d’un camp de réfugiés spécialement conçu pour éviter l’afflux trop important, dans la capitale régionale Fortaleza, des victimes de la grande sécheresse survenue en 1915.Quant au dernier roman du « cycle de la canne à sucre », de José Lins do Rego, son titre tout à fait symptomatique, Usina (1936), illustre le passage d’une économie de l’engenho, une exploitation rurale sucrière, vers une économie plus urbaine et industrielle. Admirables fictions que ces romans des écrivains dits « régionalistes », tels Graciliano Ramos, José Lins do Rego ou Rachel de Queiroz, qui dans les années 1930-40 ont su, avec une grande profondeur psychologique et des écritures très lucides, éclairer les drames humains causés par les ravages de la sécheresse et par l’ébranlement de vieilles structures rurales.
1 Le mot sertão a de multiples connotations et de nombreux avatars dans la littérature brésilienne, d (…)

Ces œuvres majeures allaient donner à la figure du retirante, celui ou celle qui se « retire » de sa campagne semi-aride pour des raisons à la fois économiques et environnementales, une voix et une place de choix dans les lettres brésiliennes mais aussi dans les mémoires et l’inconscient collectif, au sein d’un pays où la marche forcée vers la modernisation conduit trop souvent à faire table rase du passé et à étouffer les identités portées par les plus pauvres. Dénonçant l’incurie et l’abandon des pouvoirs publics pour mieux distribuer l’eau vers ces contrées et apporter un réel soutien aux populations, ils contribuèrent à faire du sertão rude et âpre du Nordeste un espace essentiel dans la fiction nationale.1 Mais que reste-t-il du retirante et de sa culture sertaneja dans la littérature brésilienne contemporaine, très majoritairement centrée sur des thématiques urbaines ? Comment, depuis l’héritage littéraire laissé par les écrivains « régionalistes » des années 1930-1940, ce grand thème de la littérature brésilienne, l’exil rural, est-il actualisé par les auteurs contemporains, alors que les sécheresses n’ont pas cessé d’écraser, au fil des décennies, de vastes étendues de terres dans le nord-est du pays ?

Il nous faudra d’abord revenir sur quelques tendances historiques, socio-économiques et démographiques du Brésil, en évoquant les facteurs des migrations mais aussi les façons dont les textes littéraires ont pu en rendre compte par le passé. Nous pourrons ensuite mieux cerner, à travers l’observation de quelques romans, les orientations de la fiction contemporaine par rapport à ces questions, en particulier la thématisation du déracinement vécu par les exilés ruraux, ainsi que la représentation de grandes villes où les cultures des migrants contribuent à l’invention de nouvelles formes d’urbanité. Ne souhaitant pas nous engager dans une étude exhaustive et nécessairement rébarbative de ce thème dans le roman contemporain, nous ne ferons allusion qu’aux œuvres de quatre auteurs phares du panorama littéraire actuel – Milton Hatoum, João Almino, Correia de Brito et Luiz Ruffato – ; quatre voix littéraires dont les fictions mettent en perspective l’expérience exilique en ayant pour cadres des aires régionales différentes – l’Amazonie, Manaus, le Nordeste et São Paulo. Cette variété géographique nous semble importante, car les thématiques de l’exil et de l’intégration des migrants dans leur lieu de destination concernent l’ensemble du pays et affectent des représentations littéraires de différents espaces du Brésil.

1. La sécheresse dans le Nordeste : phénomène ancien, vieux thème de la littérature

Conceição passait maintenant toutes ses journées au camp de réfugiés pour apporter son aide, voyant mourir par centaines des enfants en bas âge, faméliques et titubants, que les réfugiés jetaient par terre entre des tas de loques, comme des déchets humains se fondant peu à peu complètement dans le milieu ignoble où ils gisaient. (Queiroz 158).

L’existence de camps de réfugiés est le souvenir le plus terrible de la sécheresse de 1915 dans l’État du Ceará et ces mots de Rachel de Queiroz ont encore aujourd’hui gardé toute leur force, éclairant de façon saisissante les réalités poignantes de l’aire semi-aride du Nordeste. En partie du fait de l’impact causé par ces grands récits, les migrations des populations du Nordeste, dans l’imaginaire du pays, sont immédiatement associées à la sécheresse. Pourtant, on envisage assez mal un auteur contemporain écrire un roman en le centrant sur les thématiques de La terre de la grande soif. Le changement de perspective thématique, dans la fiction actuelle, peut sans doute être expliqué à la lumière du contexte national et des migrations à l’intérieur de ce pays immense (sa superficie, pour mémoire, est de 8 557 000 km²).

Depuis la publication des grands romans régionalistes, le phénomène de migration, du Nordeste vers les grandes villes, s’est encore accentué. La chercheuse Michelle Leighton souligne que les longues périodes de sécheresse qui sévissent au Nordeste ont poussé 3,4 millions de personnes à émigrer, entre 1960 et 1980 (Leighton 47). Ceci étant, le lien entre sécheresse et émigration n’est pas toujours si évident et il convient d’insister sur le fait que la migration est en réalité déterminée par une conjonction de facteurs. D’ailleurs, comme le rappellent très justement Ricardo Ojima et Wilson Fusco, « la sécheresse n’affecte pas l’ensemble du Nordeste et est clairement un phénomène localisé » (24). Aux facteurs climatiques et aux sécheresses chroniques de terres improductives, il faut ajouter, dans l’entrelacement des causes migratoires, les énormes disparités socioéconomiques de la région en rapport avec des structures latifundiaires, mais aussi un important déséquilibre économique à l’échelle du pays, qui s’est creusé lorsque le sud-est du pays s’est imposé comme un pôle industriel, avant que ne monte aussi en puissance le centre-ouest, terre de l’agro-business.

La caractérisation des personnages de migrants d’origine nordestine met bien évidence la complexité des raisons les ayant poussés à tenter leur chance dans les grandes villes. Le roman de João Almino, Hôtel Brasília (2010), à travers une focalisation narrative sur un ouvrier bahianais plein d’humour et de verve, témoigne avec un grand allant narratif de la situation de ces travailleurs précaires venus sur les chantiers de Brasília, de leurs espoirs et de leur fierté d’être les constructeurs de la capitale, mais aussi de leurs peines, et de l’exploitation dont ils sont victimes. Le texte rapporte notamment qu’ils étaient à la main « d’agents de placement », qui « les dénichaient là où ils se trouvaient, même dans les coins les plus reculés du sertão, et eux, fuyant la sécheresse, se laissaient séduire par la promesse d’un emploi à Brasília et acceptaient n’importe quelles conditions » (Almino, 2012, 63).Tous les moyens sont bons pour rallier la capitale Brasília, nouveau point de chute, après São Paulo et Rio de Janeiro, pour les Nordestins.

Les choses vont très mal dans le Nordeste, doutor Moacyr, des masses de gens fuient la sécheresse et affluent de toutes parts jusqu’à Brasília […]. Les gens sont si nombreux que maintenant il commence ày avoir un contrôle de cet afflux de travailleurs, a confirmé Miguel Andrade. (Almino, 2012, 153).

Mais les conditions sont mauvaises pour recevoir un afflux si nombreux de migrants, et des « villes-satellites », favelas insalubres, sont construites de bric et de broc sur tout le pourtour de la capitale – situation que le roman éclaire par la trajectoire de l’ouvrier bahianais, qui très rapidement se loge dans l’un de ces taudis.

2 La graphie incorrecte de São Paulo correspond à la prononciation de la mère nordestine, dans un eff (…)

Dans Deux frères (2000) de Milton Hatoum, sont évoqués à grands traits les « soldats du caoutchouc », venus du Nordeste, sur des terres arides où ils vivaient de rien, jusque vers l’Amazonie pour tenter de prospérer comme seringueiros, collecteurs d’hévéa, avant que la fin de la guerre et du cycle économique du caoutchouc ne les pousse àmigrer des forêts vers Manaus, « où ils bâtirent leurs barques sur pilotis au bord des cours d’eau, dans les ravins et trouées de la ville » (2015, 41). De même, dans Tant et tant de chevaux (2001), de Luiz Ruffato, plusieurs fragments narratifs sont centrés sur des Nordestins perdus dans la mégalopole-monstre qu’est São Paulo (plus de 20 millions d’habitants pour la région métropolitaine), et quelques mots signifiants lient inextricablement les motifs pécuniaires et les facteurs écologiques des migrations. En guise d’illustration, le fragment 6 de ce texte au genre protéiforme – un collage narratif de morceaux hétéroclites – nous donne accès aux pensées d’une mère âgée prenant pour la première fois le bus pour revoir ses enfants partis « gagner leur [sa] vie à Sampaulo »2 et une kyrielle du substantifs suffit, dans une grande contention du sens, à éclairer la réalité bien connue d’espaces reculés du sertão : « le sertão, la sécheresse, le silence, le sommet, la soleil le soleil le soleil, piège, terre aride, urubus » (Ruffato 2010, 23).

3 « Migration flows are attempt to capitalize on the inequitable distribution of both economic opport (…)
4 Les chercheurs spécialistes de ces questions prennent garde de rappeler cette différence : « Par co (…)
5 Ce sont les données de l’IBGE (Institut brésilien de géographie et statistiques). http://7a12.ibge. (…)

On le voit, l’arrière-plan climatologique n’est jamais trop loin dans l’évocation de ces figures fictionnelles de migrants nordestins, mais il s’adosse à des questions économiques et en cela la fiction se montre attentive à la réalité bivalente et complexe des exilés environnementaux.« Les flux migratoires visent à contrecarrer l’inégale distribution tant des opportunités économiques que des ressources naturelles »3, selon les termes de William B. Woods (46).Ajoutons que la sécheresse est un désastre écologique qui induit une croissance plus lente des taux de migration4.Or depuis l’époque des écrivains régionalistes, la littérature a, pour ainsi dire, eu le temps de prendre ses distances avec le sujet de l’émigration depuis le Nordeste et avec ses tendances sur le long terme. Tendances très lourdes de conséquences : en 1940, 69% de la population vivait encore dans les campagnes. En revanche, dès 2000, le cap des 80% de population urbaine est franchi5.

6 Les cinq romans d’Inferno provisório forment un vaste ensemble romanesque, au point que désormais L (…)

Le rapport s’est donc complètement inversé, dans la répartition de la population entre monde urbain et monde rural. L’œuvre de Luiz Ruffato, justement, est caractéristique d’un axe thématique important de la fiction contemporaine : il inscrit le phénomène migratoire dans une succession de vagues de départs, et explore la transformation progressive des dynamiques spatiales et sociales induites par l’urbanisation, l’industrialisation et les migrations. Il s’intéresse surtout à la trajectoire sociale et économique des migrants dans leur nouveau lieu de vie, et nous les dépeint à travers leurs professions – chauffeur de taxi, soudeurs, métallurgistes, serveurs, etc… Ceci est vrai à la fois dans Tant et tant de chevaux, texte qui représente une São Paulo fragmentée, mais aussi dans Inferno provisório (2005-2011)6, très grande fresque sociale de la deuxième moitié du XXe siècle, où immigrants nordestins, mais aussi italiens et mineiros sont contraints à une vie de durs labeurs et de déplacements constants – du Nordeste ou de l’Europe vers Catagueses, ville industrielle de Minas Gerais, puis souvent de Catagueses vers São Paulo.

Lorsque l’on observe les flux migratoires internes au Brésil sur une période longue, un dernier constat s’impose de lui-même : à partir des années 1980, les migrations du nord-est vers le sud-est du pays diminuent assez nettement, notamment en raison d’un dynamisme des pôles urbains régionaux (Recife, Fortaleza, Natal, principalement) mais aussi des villes moyennes du Nordeste. Les taux de migration du nord-est vers le reste du pays ont nettement décru, et les chercheurs rendent compte d’un retour des migrants vers leur région d’origine. Toutefois, les campagnes continuent de se vider et c’est le réseau urbain qui ne cesse de croître dans ces régions. Dans la littérature des dernières décennies, une œuvre comme celle de Correia de Brito offre un regard très aigu sur ces transformations du Nordeste. Le sertão dépeint par cet auteur, notamment dans Le don du mensonge (2008) et aussi dans son recueil de nouvelles Le jour où Octacilio Mendes vit le soleil (2003), est un sertão mondialisé qui a suivi vaille que vaille le virage de la modernisation, ses traits prenant l’aspect d’une urbanité difforme et précaire.

Dans le premier texte cité, des personnages nordestins ayant migré vers les villes brésiliennes du sud-est ou vers l’Europe, revenant sur la terre de leurs aïeux pour y refaire leur vie, semblent avoir perdu tout lien avec leur culture et paraissent écraser par ce monde où les nouveaux visages du progrès ont brisé tous leurs paradigmes. Un médecin vivant à Recife ou encore un jeune métisse de générations d’indiens jucás, après des années à vivre comme travailleur émigré en Norvège, luttent avec les fantômes de leur enfance, au sens propre comme au figuré. En effet, un registre merveilleux s’empare du texte et les morts du sertão des temps jadis hantent encore un présent ambivalent, entre tradition et modernité radicale. Les villes ancrées dans ce sertão un peu bâtard sont souvent décrites, au long du roman, comme des endroits de désolation, que la violence et la misère sociale gangrènent.

7 Nous suggérons ici la lecture éclairante de la thèse de Tiago Carlos Lima do Nascimento, O caminho (…)

Le cas de la littérature écrite par Ronaldo Correia de Brito est éclairant : alors même que la région du Nordeste semble de plus en plus vulnérable aux sécheresses – celle de 2013, tout récemment, ayant été l’une des plus longues et terribles de ces dernières années7 –la littérature n’a certes pas cessé de proposer un regard sur les exilés de tous bords qui fuient leur coin de campagne aride, mais elle souligne avant tout les inflexions et nouvelles facettes engendrées par une modernisation souvent précipitée, et donne à voir l’adaptation des gens de la campagne à un nouveau milieu de vie urbain.

2.Voix d’exilés ruraux dans la fiction contemporaine

8 La citation complète mérite d’être retranscrite : « Le migrant pour Emile Durkheim est considéré qu (…)
« L’exilé est mon frère qui (re)vient de loin, il a un bagage à partager, un récit que je veux écouter », selon la belle formulation d’Alexis Nouss (160). La fiction, par le truchement des personnages et des situations romanesques, invente des récits, pose des voix, fait résonner des paroles de migrants que le brouhaha du monde et les stéréotypes ont tendance à étouffer. La littérature ne saurait remplacer l’observation rigoureuse d’un phénomène social, mais elle est une invention ou réinvention d’expériences humaines, ayant cette faculté à sonder les mémoires et l’intériorité des exilés. Pour reprendre la distinction sémantique qu’établit Alexis Nouss à partir de Durckheim et de Simmel8, la littérature féconde avant tout un regard et une réflexion non pas tant sur le « migrant », observé avec détachement selon la logique de ses déplacements cartographiques, mais avant tout sur « l’exilé », qui « passe d’un ciel à l’autre, d’une langue à l’autre, et retient la mémoire des uns et des autres en les faisant dialoguer » (11).

Le rapport avec le monde rural est interrogé au détour des textes de Ruffato, qui mettent en perspective l’effilochement des liens entre, d’une part, des origines campagnardes et, d’autre part, les modes de vie adoptés dans la métropole. Cela est très net dans Inferno provsisório, où de nombreux personnages, des prolétaires vivant misérablement dans la zone industrielle de São Paulo, se sentent dépossédés de leur identité : « Mineiro. Il n’avait même pas de nom. Mineiro. À la filiale de Diadema, à la pension de l’Ipiranga. Et encore moins quand il vadrouillait, anonyme, dans la ville » (Ruffato, 2010, 131). Solitaires, coupés des leurs, ces personnages cherchent à se raccorder à un passé qu’ils idéalisent :

[…] il n’avait plus jamais eu de nouvelles de sa famille, il se sentait un moins que rien dans cette ville tellement énorme. Un Bahianais, qui travaillait avec lui, lui dit, Mineiro, j’étais à l’aise ici, j’ai acheté un billet pour Serrinha, j’ai tout largué. J’ai fait une connerie. J’ai dû revenir la queue entre les jambes. […] Y a qu’ici qu’on vit décemment, du moment qu’on sait qu’on peut compter sur la paye recta à la fin du mois. (Ruffato, 2010, 132)

Le discours direct fait soudainement irruption dans le récit, seul un surlignage en gras le démarquant de la narration à la troisième personne, et les tours de phrase des migrants, qui s’expriment vertement, donnent une coloration à leurs vécus, créant chez le lecteur une forme d’empathie.

9 La Cidade Livre est la zone urbaine qui sert de titre au roman, dans l’édition originale en portuga (…)

L’empathie n’est pas moindre, pour le lecteur d’Hôtel Brasília, à l’égard de Valdivino, ce pauvre hère, ouvrier fragile, quivit dans une favela construite autour du « Plan Pilote » de la capitale. Mais, là encore, ce que le texte met en évidence est la difficulté du migrant à trouver sa place dans la société. Malgré tout son labeur, cet exilé de la pauvreté et de la sécheresse demeure en marge de la société brésilienne. Aussi forts qu’aient été les liens entre Valdivino et la famille du narrateur, de classe moyenne aisée, la narration laisse clairement percevoir le fait qu’il demeure, malgré tout, un être marginal. Lui l’ouvrier, représentant d’une classe sociale essentielle pour la construction de la ville, est symboliquement le personnage qui disparaît aussitôt après l’inauguration de la capitale (il meurt le 22 avril 1960), comme l’a fait remarquer la critique Regina Zilberman : « Au contraire de la Cidade Livre9, construite pour être temporaire, mais qui existe encore aujourd’hui, Valdivino est l’individu jetable, qui ne trouve pas sa place dans le monde qui apparaît au grand jour le 21 avril 1960 » (52).

De tels textes font donc entendre de voix minoritaires et alimentent une réflexion sur les raisons de leur marginalisation. À cet égard, ils mettent aussi en scène des personnages de classes moyennes ou supérieures, pour éclairer les préjugés dont sont victimes les migrants. Cela est très net dans Tant et tant de chevaux, où de nombreux indices langagiers de pensée stéréotypée parsèment les fragments narratifs, notamment dans le fragment 16, dans lequel des Paulistes aisés s’inquiètent des « immigrants […] des Bahiannais des Mineiros des Nordestins des gens déracinés qui n’aiment pas la ville » (Ruffato, 2010, 42) ; ne les considérant que comme une menace à leur privilèges ou comme un danger sécuritaire : « Le jour viendra où nous ne pourrons même plus sortir chez nous » (42).

10 « Houve até um arrasta-pé ». João Almino, Cidade Livre (Rio de Janeiro: Record, 2010), p. 237. Le t (…)
11 À Manaus, par exemple, le narrateur de Cendres d’Amazonie a en mémoire les veillées de son enfance (…)

Pourtant, les cultures des migrants, notamment des exilés ruraux venus du Nordeste, sont particulièrement vivantes. Et de ce point de vue, plusieurs situations narratives de la fiction brésilienne actuelle sont une caisse de résonnance du dynamisme culturel que les populations nordestines ont apporté aux grandes villes. La musique, bien sûr, est l’un des éléments culturels qui s’est le plus facilement transplanté dans les grandes villes, et Inferno provisório s’en fait l’écho lorsque le texte accompagne des danseurs de forró, musique très rythmée du Nordeste, dans les bals populaires de São Paulo. Dans Hôtel Brasília, est-ce un hasard si les derniers paragraphes, en opposition avec le sentiment de désillusion régnant par ailleurs, décrivent une danse populaire dans les rues de la Cidade Livre, au son de l’accordéon joué par le narrateur10 ? Dans l’air étouffé de Brasília dépeint par le roman, il est symptomatique qu’un souffle d’espoir, incarné par une musique vive et légère du Nordeste, fasse bruire les dernières pages. Chez nos auteurs, les personnages dansent donc au rythme du forró, mangent des plats et desserts typiques de ces régions (notamment à base de coco et de manioc) et puis vont aux fêtes du mois de juin (festas juninas), très célébrées au Nordeste et, à travers les cultures des exilés, dans tout le pays11.

12 Les personnages, d’une certaine façon, sont caractéristiques d’un aspect essentiel de « l’expérienc (…)

Les cultures des exilés, transmises au fil des générations, se transforment en un processus dynamique. Il faut revenir ici aux « spécificités sémantiques de l’exil » : par rapport à des termes tels que « migrant », « déporté » ou « errant », l’exil n’est pas lié à un seul lieu (origine ou accueil) qui en fournirait la signification mais il est « bipolarisé, fondant son phénomène à la fois sur sa source et sur sa destination » (Nouss 29).Dans la littérature de Milton Hatoum, la « dynamique de multi-appartenance » (Nouss 29) propre aux cultures de l’exil est particulièrement palpable, car des romans comme Deux frères ou Cendres d’Amazonie, par leurs structures narratives polyphoniques, ne cessent d’éclairer comment les cultures du Nordeste, de l’Orient (précisons que de nombreux personnages, comme l’auteur, sont des enfants d’immigrés libanais) et aussi autochtones (des peuples indiens) s’entremêlent et se modifient dans la ville cosmopolite de Manaus12.

13 Nous empruntons l’expression à Michel de Certeau, qui, dans sa recherche ayant abouti à la publicat (…)

Les narrations de Correia de Brito sont aussi très intéressantes à cet égard. Dans les villes moyennes du Nordeste qui ont connu récemment de grands afflux de population, des identités plurielles se forment, mêlant des aspects ruraux et urbains. Le don du mensonge(2008)insiste sur la stupéfaction des personnages face à un nouveau sertão, qui leur donne l’impression d’être devenue une vaste zone périurbaine…Lorsqu’ils voient une « femme qui charge à l’arrière de sa motocyclette une vieille dame et trois vaches étiques » (8), s’effondrent les vieux mythes du vacher viril et du cheval que l’on tirait par la queue dans les histoires de héros locaux…L’exilé voit donc une part de sa culture disparaître ou du moins s’effacer ; il perd son paysage natal, son champ, sa façon originelle de parler et de vivre, et aucun des textes étudiés ne donne une vision idéalisée de l’hybridation culturelle. Cependant, il nous semble que ces textes n’en restent pas au simple constat d’une perte. D’une part, ils suggèrent que, en dépit de tout, des expressions culturelles se font encore entendre, en se transformant notamment par le contact avec d’autres cultures. D’autre part, ils mettent à jour des façons de préserver et d’affirmer des identités, des « inventions du quotidien » pour se jouer des difficultés de l’exil13, et surtout – ce que la littérature est vraiment à même d’exprimer – des langages marqueurs d’une individualité, des voix personnelles.

Dans Hôtel Brasília, l’écriture est ainsi portée par l’envie de donner au personnage du migrant nordestin une voix particulière et de retranscrire une façon simple et vivante de s’exprimer, afin de donner plus de relief à l’expérience vécue par Valdivino.

Des dangers que je cours, celui-ci est le moindre, doutor Moacyr, le coronel peut bien se démener, il ne me retrouvera jamais dans la communauté et dans mon cas il ne pourra pas harceler ma famille, comme il fait pour les autres, comme je n’ai pas laissé de famille derrière moi… (Almino, 2012, 63)

14 « Coronel » veut dire « colonel », mais par extension c’est aussi le chef politique ou latifundiair (…)

Les formules d’apostrophe de ce personnage – il s’adresse à ses interlocuteurs en employant l’expression « Doutor » – marquent le rapport social qu’il entretient avec la famille du narrateur, d’une classe plus aisée ; ses récits lancés sur le ton de la confidence, avec des tours d’oralité, font de lui un conteur séducteur. Le coronel14 aura beau remuer ciel et terres, « il ne me retrouvera jamais dans la communauté » (63), s’écrie Valdivino… Et il y a dans ce cri du cœur non seulement la conscience d’une force collective – celle de la « communauté » de la favela où il habite, et plus largement la communauté d’ouvriers nordestins exilés à Brasília – mais aussi d’un art de la débrouille.

Le chauffeur de taxi campé par Luiz Ruffato est fait du même bois que Valdivino. Durant son long monologue, le chauffeur énumère les nombreuses vicissitudes de son existence précaire. La langue, avec des interjections et des tournures populaires, exprime la personnalité du personnage, son extraction sociale, son vécu.

Je suis descendu du Nord dans un camion, bâché, des planches posées sur les ridelles servaient de sièges, dans le bissac une gamelle, de la cassonade et de la farine, des jours et des jours de voyage, ah dieu du ciel ! (Ruffato, 2010, 94)

Ceci étant, en dépit de tous les obstacles qu’il a rencontrés, le chauffeur finit par s’exclamer : « Sao Paulo, une mère pour moi » (Ruffato, 2010, 94).

Et ce que le texte traduit très bien, ce sont donc les manières de dire de ce personnage, dont on donnera simplement trois exemples : « Alors nous allons prendre le chemin le plus rapide. Qui n’est pas le plus court, vous le savez » (91) ; « Pour gagner sa vie avec le troc, celui qui n’est pas roublard n’a pas d’avenir, vous n’êtes pas d’accord ? » (97) ; « À l’époque, j’étais plutôt cavaleur. Chaud lapin, jeune et beau, baratineur… Y avait pas une semaine sans que je sorte avec une femme différente » (Ruffato 95-96). Ces tours de phrases expriment toute l’habileté du chauffeur à contourner les difficultés de la vie. Son usage de la langue et son « énonciation proverbiale » reflètent « son arsenal de valeurs », celles-ci lui permettant de « donner un sens immédiat à sa position dans le monde et aux événements de sa vie quotidienne », selon les mots de Michel Agier (128).

15 Ces stratégies d’adaptation peuvent conduire à un épanouissement personnel et à un enrichissement c (…)
16 La sociologue Saskia Sassen met bien en lumière l’apport des cultures issues de l’immigration, à l’ (…)

Les personnages que nous avons évoqués, dans leur condition d’exilés, mettent donc en place des stratégies d’adaptation15 ; plus que cela, ils incarnent des formes de cultures populaires qui témoignent d’une diversité de langages et de parcours, dans le concert de voix des grandes villes16. Or, dans le champ extra-littéraire, le géographe Milton Santos, au sujet de cette diversité de cultures des grandes villes, estime qu’elle est une contribution prometteuse pour la réalisation d’une « autre mondialisation » :

Ce qui se crée, […] c’est l’intuition et, tout de suite après, la conscience d’être un monde et d’être dans le monde […] Le propre monde s’installe dans les lieux, surtout dans les grandes villes, par la présence massive d’une humanité mélangée […]. Les dialectiques de la vie dans les lieux, désormais enrichis, sont parallèlement le bouillon de culture nécessaire à la proposition et l’exercice d’une nouvelle politique. (Santos 172-173).

Nous ne prétendons pas intégrer directement les romans évoqués ici dans l’orbite de cette « nouvelle politique ». Il n’y a pas d’aspect revendicatif dans ces textes, pas de thèses défendues ; seulement des questions soulevées par les situations humaines et sentiments exprimés. Mais si aucun d’entre eux n’est « engagé » au sens où la narration serait le véhicule direct des positions idéologiques de leurs auteurs, ces textes plongent dans la « dialectique de la vie dans les lieux », font résonner plusieurs voix de cette altérité si diverse qui enrichit et amplifie « la conscience d’être un monde et d’être dans le monde ».

Arrivés au terme de notre réflexion, peut-être est-on plus à même d’interpréter une citation assez intrigante d’Hôtel Brasília :

Si cela m’avait intéressé, j’aurais accepté la suggestion […] de composer ici un épais roman régionaliste sur le Nordeste dans lequel les puits étaient secs, la terre se fissurait, les rivières se transformaient en routes de sable, des carcasses de bêtes signalaient d’autres morts à venir et les émigrants arrivaient en caravanes. (Almino, 2012, 153).

Bien que João Almino ne cache pas sa passion pour les écrivains « régionalistes » du Nordeste, comme Rachel de Queiroz ou Graciliano Ramos, l’ironie palpable dans le commentaire de son narrateur sous-entend qu’il se défie des images toutes faites, et qu’il lui faut éviter le ressassement d’une forme de sentimentalisme pittoresque, en s’éloignant donc des grands récits du Nordeste. Mais il ne faudrait pas se tromper sur ces mots du narrateur, qui se joue de son lecteur : certes, la terre ne se fissure plus et les puits ne sont pas secs dans le roman d’Almino, mais ce dernier n’en continue pas moins de prolonger des thématiques chères à ces auteurs régionalistes qu’il admire, comme l’exil rural ou l’anéantissement d’un univers agricole au profit de l’urbanité. Le choix de centrer son œuvre romanesque sur la ville, et plus encore Brasília, une ville nouvelle, ville sans racines, peuplée de migrants, est ainsi propice à l’exploration d’un Brésil en mutation, profondément transformé par l’expérience exilique. De la même manière, dans leurs fictions représentant d’autres espaces urbains du Brésil, Milton Hatoum, Ronaldo Correia de Brito ou Luiz Ruffato, nous donnent à voir le déracinement des exilés, les préjugés dont ils sont victimes, mais aussi leurs stratégies d’adaptation, leurs bricolages et inventions du quotidien. Le rôle de la littérature est ici essentiel, car face aux pouvoirs et aux logiques de la centralité, elle fait entendre ces voix minoritaires qui, en retour, enrichissent infiniment les imaginaires des auteurs et le déploiement de leurs écritures. Comme l’a si bien proclamé Édouard Glissant,

L’errance nous donne de nous amarrer à cette dérive qui n’égare pas.

La pensée de l’errance défourne l’imaginaire, nous projette loin de cette grotte en prison où nous étions tassés, qui est la cale ou la caye de la soi-disant puissante unicité. Nous sommes plus grands, de toutes les variances du monde ! (Glissant 63).

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Bibliographie
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––. Le don du mensonge. Trans. Danielle Schramm. Paris : Liana Levi, 2010.

Glissant, Édouard. Traité du Tout-Monde. Poétique IV. Paris : Gallimard, 1997.

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Notes
1 Le mot sertão a de multiples connotations et de nombreux avatars dans la littérature brésilienne, depuis le sertão décrit par Euclides da Cunha (1866-1909), qui dans Hautes terres (1902) [Os sertões, titre original] évoque la guerre de Canudos, une lutte entre paysans révoltés et l’armée de la toute récente République, jusqu’au sertão mythique et poétique de Guimarães Rosa. D’une façon très générale, ce terme renvoie aux grands espaces à l’intérieur des terres, et peu à peu en est venu à désigner, plus spécifiquement, une zone semi-aride dans l’hinterland brésilien, au sein de laquelle les pouvoirs publics, pour mener des politiques d’urgence dans les terres les plus affectées par les pénuries d’eau et l’érosion des sols, ont circonscrit, en 1946, un « polygone des sécheresses ».

2 La graphie incorrecte de São Paulo correspond à la prononciation de la mère nordestine, dans un effet de style qui intègre les manières de dire du personnage.

3 « Migration flows are attempt to capitalize on the inequitable distribution of both economic opportunities and natural resources ». Traduction personnelle.

4 Les chercheurs spécialistes de ces questions prennent garde de rappeler cette différence : « Par comparaison avec les cyclones et les inondations, la pénurie d’eau pour la consommation humaine et l’irrigation ont une incidence beaucoup moins brusque et génèrent donc des modèles de mobilité plus progressifs ». Étienne Piguet, Antoine Pécoud et Paul de Guchteneire, « Changements climatiques et migrations : quels risques, quelles politiques ? ». L’Information géographique (Paris : Armand Colin, 2011), p. 92.

5 Ce sont les données de l’IBGE (Institut brésilien de géographie et statistiques). http://7a12.ibge.gov.br/vamos-conhecer-o-brasil/nosso-povo/caracteristicas-da-populacao.html. Page consultée le 14 janvier 2015.

6 Les cinq romans d’Inferno provisório forment un vaste ensemble romanesque, au point que désormais Luiz Ruffato a fait le choix de les regrouper en un seul volume : Luiz Ruffato, Inferno provisório (São Paulo, Companhia das Letras, 2016). Il n’existe pas de traduction française de cet ensemble romanesque dans sa totalité, mais seulement des deux premiers volets : Luiz Ruffato, Des gens heureux [Mamma, son tanto felice, titre original] (Trans. Jacques Thiériot. Paris : Métailié, 2007) ; Idem, Le monde ennemi [O mundo inimigo, titre original] (Trans. Jacques Thiériot. Paris, Métailié, 2010).

7 Nous suggérons ici la lecture éclairante de la thèse de Tiago Carlos Lima do Nascimento, O caminho para as secas: As imigrações para o Semiárido Setentrional (Natal : Université fédérale du Rio Grande do Norte, 2015).

8 La citation complète mérite d’être retranscrite : « Le migrant pour Emile Durkheim est considéré quant à sa fonction au sein des grades structures sociales et des rapports de domination dans la sphère économique alors que Georg Simmel porte son attention sur l’intériorisation par l’étranger des ambivalences psychologiques provoquées par les déplacements migratoires dans la modernité de son époque. Pour le premier, la migration est phénomène social ; pour le second, elle est expérience humaine – deux définitions à appliquer dans la distinction entre migration et exil. » Alexis Nouss, La condition de l’exilé. Penser les migrations contemporaines (Paris : Maison des Sciences de l’Homme, « Interventions » 2015), p. 10.

9 La Cidade Livre est la zone urbaine qui sert de titre au roman, dans l’édition originale en portugais : elle abritait commerces et logements pour accueillir le personnel des chantiers de Brasília, et si à l’origine elle devait, en effet, être seulement temporaire, elle n’a finalement jamais été détruite et est devenue l’une des nombreuses villes-satellites autour de la capitale.

10 « Houve até um arrasta-pé ». João Almino, Cidade Livre (Rio de Janeiro: Record, 2010), p. 237. Le texte original est ici plus expressif, désignant une danse spontanée, libre : l’arrasta-pé, renvoie en effet, littéralement, aux « pieds qui glissent » et désigne une danse du forró.

11 À Manaus, par exemple, le narrateur de Cendres d’Amazonie a en mémoire les veillées de son enfance : « J’observai la foule agitée, les allégories et les déguisements, et je me souvins des fêtes de la Saint-Jean sur le Morro da Catita, des costumes cousus par tante Ramira, et d’un des bœufs, le Court-les-Champs, tournoyant et dansant au milieu d’un groupe d’enfants » Milton Hatoum, Cendres d’Amazonie (Trans. Geneviève Leibrich, Paris : Actes Sud, 2008), p. 81.

12 Les personnages, d’une certaine façon, sont caractéristiques d’un aspect essentiel de « l’expérience exilique » telle qu’elle a été étudiée par Alexis Nouss, à savoir « l’oscillation entre une passivité devant le paysage identitaire et culturel, plus ou moins connu, qui s’impose à l’exilé et qu’il n’est pas sûr de jamais maîtriser, et une intense activité, actualisant la connaissance qu’il possède de l’ancien paysage afin de ne pas s’égarer dans le nouveau ou de s’en protéger » Alexis Nouss, op. cit., p. 26.

13 Nous empruntons l’expression à Michel de Certeau, qui, dans sa recherche ayant abouti à la publication de l’ouvrage du même nom, L’invention du quotidien, songeait avant tout à la créativité de la « culture populaire ». Michel de Certeau, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire (Paris : Gallimard, « Folio Essais », 1990), p. 31-49.

14 « Coronel » veut dire « colonel », mais par extension c’est aussi le chef politique ou latifundiaire, et le mot « coronélisme » est un terme spécifique au Brésil qui désigne le contrôle du pouvoir par un petit groupe de grands propriétaires terriens, avec la complaisance de l’État.

15 Ces stratégies d’adaptation peuvent conduire à un épanouissement personnel et à un enrichissement culturel : « Loin d’être un résultat intrinsèquement négatif et indésirable, la migration peut en outre constituer une stratégie d’adaptation à part entière », Étienne Piguet, Antoine Pécoud et Paul de Guchteneire, op. cit., p. 103

16 La sociologue Saskia Sassen met bien en lumière l’apport des cultures issues de l’immigration, à l’encontre de l’homogénéisation des modes de vie : « La grande ville occidentale d’aujourd’hui concentre la diversité. Ses espaces sont marqués par la culture d’entreprise dominante, mais aussi par une multiplicité de cultures et d’identités autres. Le décalage est évident : la culture dominante ne peut englober qu’une partie de la ville. […] Par exemple, grâce à l’immigration, une prolifération de cultures fortement localisées à l’origine a eu lieu dans de nombreuses grandes villes ». Saskia Sassen, La globalisation. Une sociologie (Trans. Pierre Guglielmina, Paris : Gallimard, 2009), p.130.

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Pour citer cet article
Référence électronique
François Weigel, « Le monde du sertão habite les grandes villes brésiliennes. Figures d’exilés ruraux dans le roman brésilien contemporain. », Les chantiers de la création [En ligne], | 2019, mis en ligne le 20 avril 2019, consulté le 10 juin 2019. URL : http://journals.openedition.org/lcc/1601

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Auteur
François Weigel
Université fédérale du Rio Grande do Nortefrancois.weigel@laposte.net

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