CULTURE – l’Humanité – le 20 Septembre 2012
Littérature
Brasilia, la modernité et les fantômes de l’espoir
En 1960 naissait Brasilia. Dans la ville des bâtisseurs, chantres du progrès et visionnaires des nouvelles religions cohabitent sur fond d’amour et de haine.
Hôtel Brasilia, de João Almino. Éditions Métailié, 224 pages, 18 euros. Le 20 avril 1960, sur la place des Trois-Pouvoirs, JK, ainsi appelait-on le président Juscelino Kubitschek, se fait remettre les clés de la nouvelle capitale du Brésil, Brasilia. Le narrateur est là, avec son père Moacyr Ribeiro, ses deux tantes, Francisca et Matilda, et Valdivino, un contremaître. Il a dix ans. Le Brésil est en liesse, une joie que le monde entier partage « Jamais le monde n’a eu autant de raisons d’espérer qu’aujourd’hui avec vous, Brésiliens ! » a dit, peu de temps auparavant, le peintre français Georges Mathieu, à l’époque célèbre, aujourd’hui presque aussi oublié que la pièce de dix francs qu’il a dessinée en 1974. Mais il avait raison : l’immense espoir soulevé par cet acte pionnier a fait de ce coin perdu du Planalto brésilien un symbole d’avenir à l’échelle de la planète. Pour le jeune garçon, tout cela s’est traduit par le cadeau d’une chemise blanche et d’une montre. On peut éventuellement ranger dans cette catégorie la vision extatique, la nuit dernière des seins de Matilda, mais c’est une autre histoire.
Une autre ou la même : Hôtel Brasilia n’est-il pas précisément cette narration mêlée, à toutes les échelles, de ce qu’ont vécu, vu et entendu les individus sans importance emportés dans cette épopée dont on n’a plus idée ? Et c’est aussi un récit partagé, problématique, entre père et fils. Moacyr, psychiatre de formation, s’est improvisé historiographe de Brasilia. Plus exactement, il a pour mission de consigner les paroles mémorables des hôtes de marque, qu’il accompagne pendant leur visite. Et le livre se présente comme la transcription d’un blog, simplement « révisée » par João Almino. Un dispositif qui, loin de se réduire à un truc narratif, procure la distance suffisante pour visiter l’envers de l’ultramodernisme : les prophètes, illuminés en tout genre comme ceux qui vont fonder, au plus profond du pays, la « Ville éclectique », peuplée d’adeptes de ceux qui prennent ce qu’il y a de mieux dans chaque religion. Envers et endroit se combattent jusqu’à une tragédie peut-être rêvée, d’où va naître, en fin de compte, l’envie du fils de prendre le relais du père en racontant à son tour. On ne résiste pas au plaisir de ce récit virtuose, sensible, plein d’humour, très précisément ancré dans l’histoire du Brésil et notre modernité commune. João Almino nous accueille ainsi dans un hôtel aux nombreuses chambres, dont on se fait volontiers le client.
Alain Nicolas
CULTURE – l’Humanité – le 20 Septembre 2012
Littérature
Brasilia, la modernité et les fantômes de l’espoir
En 1960 naissait Brasilia. Dans la ville des bâtisseurs, chantres du progrès et visionnaires des nouvelles religions cohabitent sur fond d’amour et de haine.
Hôtel Brasilia, de João Almino. Éditions Métailié, 224 pages, 18 euros. Le 20 avril 1960, sur la place des Trois-Pouvoirs, JK, ainsi appelait-on le président Juscelino Kubitschek, se fait remettre les clés de la nouvelle capitale du Brésil, Brasilia. Le narrateur est là, avec son père Moacyr Ribeiro, ses deux tantes, Francisca et Matilda, et Valdivino, un contremaître. Il a dix ans. Le Brésil est en liesse, une joie que le monde entier partage « Jamais le monde n’a eu autant de raisons d’espérer qu’aujourd’hui avec vous, Brésiliens ! » a dit, peu de temps auparavant, le peintre français Georges Mathieu, à l’époque célèbre, aujourd’hui presque aussi oublié que la pièce de dix francs qu’il a dessinée en 1974. Mais il avait raison : l’immense espoir soulevé par cet acte pionnier a fait de ce coin perdu du Planalto brésilien un symbole d’avenir à l’échelle de la planète. Pour le jeune garçon, tout cela s’est traduit par le cadeau d’une chemise blanche et d’une montre. On peut éventuellement ranger dans cette catégorie la vision extatique, la nuit dernière des seins de Matilda, mais c’est une autre histoire.
Une autre ou la même : Hôtel Brasilia n’est-il pas précisément cette narration mêlée, à toutes les échelles, de ce qu’ont vécu, vu et entendu les individus sans importance emportés dans cette épopée dont on n’a plus idée ? Et c’est aussi un récit partagé, problématique, entre père et fils. Moacyr, psychiatre de formation, s’est improvisé historiographe de Brasilia. Plus exactement, il a pour mission de consigner les paroles mémorables des hôtes de marque, qu’il accompagne pendant leur visite. Et le livre se présente comme la transcription d’un blog, simplement « révisée » par João Almino. Un dispositif qui, loin de se réduire à un truc narratif, procure la distance suffisante pour visiter l’envers de l’ultramodernisme : les prophètes, illuminés en tout genre comme ceux qui vont fonder, au plus profond du pays, la « Ville éclectique », peuplée d’adeptes de ceux qui prennent ce qu’il y a de mieux dans chaque religion. Envers et endroit se combattent jusqu’à une tragédie peut-être rêvée, d’où va naître, en fin de compte, l’envie du fils de prendre le relais du père en racontant à son tour. On ne résiste pas au plaisir de ce récit virtuose, sensible, plein d’humour, très précisément ancré dans l’histoire du Brésil et notre modernité commune. João Almino nous accueille ainsi dans un hôtel aux nombreuses chambres, dont on se fait volontiers le client.
Alain Nicolas
CULTURE – l’Humanité – le 20 Septembre 2012
Littérature
Brasilia, la modernité et les fantômes de l’espoir
En 1960 naissait Brasilia. Dans la ville des bâtisseurs, chantres du progrès et visionnaires des nouvelles religions cohabitent sur fond d’amour et de haine.
Hôtel Brasilia, de João Almino. Éditions Métailié, 224 pages, 18 euros. Le 20 avril 1960, sur la place des Trois-Pouvoirs, JK, ainsi appelait-on le président Juscelino Kubitschek, se fait remettre les clés de la nouvelle capitale du Brésil, Brasilia. Le narrateur est là, avec son père Moacyr Ribeiro, ses deux tantes, Francisca et Matilda, et Valdivino, un contremaître. Il a dix ans. Le Brésil est en liesse, une joie que le monde entier partage « Jamais le monde n’a eu autant de raisons d’espérer qu’aujourd’hui avec vous, Brésiliens ! » a dit, peu de temps auparavant, le peintre français Georges Mathieu, à l’époque célèbre, aujourd’hui presque aussi oublié que la pièce de dix francs qu’il a dessinée en 1974. Mais il avait raison : l’immense espoir soulevé par cet acte pionnier a fait de ce coin perdu du Planalto brésilien un symbole d’avenir à l’échelle de la planète. Pour le jeune garçon, tout cela s’est traduit par le cadeau d’une chemise blanche et d’une montre. On peut éventuellement ranger dans cette catégorie la vision extatique, la nuit dernière des seins de Matilda, mais c’est une autre histoire.
Une autre ou la même : Hôtel Brasilia n’est-il pas précisément cette narration mêlée, à toutes les échelles, de ce qu’ont vécu, vu et entendu les individus sans importance emportés dans cette épopée dont on n’a plus idée ? Et c’est aussi un récit partagé, problématique, entre père et fils. Moacyr, psychiatre de formation, s’est improvisé historiographe de Brasilia. Plus exactement, il a pour mission de consigner les paroles mémorables des hôtes de marque, qu’il accompagne pendant leur visite. Et le livre se présente comme la transcription d’un blog, simplement « révisée » par João Almino. Un dispositif qui, loin de se réduire à un truc narratif, procure la distance suffisante pour visiter l’envers de l’ultramodernisme : les prophètes, illuminés en tout genre comme ceux qui vont fonder, au plus profond du pays, la « Ville éclectique », peuplée d’adeptes de ceux qui prennent ce qu’il y a de mieux dans chaque religion. Envers et endroit se combattent jusqu’à une tragédie peut-être rêvée, d’où va naître, en fin de compte, l’envie du fils de prendre le relais du père en racontant à son tour. On ne résiste pas au plaisir de ce récit virtuose, sensible, plein d’humour, très précisément ancré dans l’histoire du Brésil et notre modernité commune. João Almino nous accueille ainsi dans un hôtel aux nombreuses chambres, dont on se fait volontiers le client.
Alain Nicolas
CULTURE – l’Humanité – le 20 Septembre 2012
Littérature
Brasilia, la modernité et les fantômes de l’espoir
En 1960 naissait Brasilia. Dans la ville des bâtisseurs, chantres du progrès et visionnaires des nouvelles religions cohabitent sur fond d’amour et de haine.
Hôtel Brasilia, de João Almino. Éditions Métailié, 224 pages, 18 euros. Le 20 avril 1960, sur la place des Trois-Pouvoirs, JK, ainsi appelait-on le président Juscelino Kubitschek, se fait remettre les clés de la nouvelle capitale du Brésil, Brasilia. Le narrateur est là, avec son père Moacyr Ribeiro, ses deux tantes, Francisca et Matilda, et Valdivino, un contremaître. Il a dix ans. Le Brésil est en liesse, une joie que le monde entier partage « Jamais le monde n’a eu autant de raisons d’espérer qu’aujourd’hui avec vous, Brésiliens ! » a dit, peu de temps auparavant, le peintre français Georges Mathieu, à l’époque célèbre, aujourd’hui presque aussi oublié que la pièce de dix francs qu’il a dessinée en 1974. Mais il avait raison : l’immense espoir soulevé par cet acte pionnier a fait de ce coin perdu du Planalto brésilien un symbole d’avenir à l’échelle de la planète. Pour le jeune garçon, tout cela s’est traduit par le cadeau d’une chemise blanche et d’une montre. On peut éventuellement ranger dans cette catégorie la vision extatique, la nuit dernière des seins de Matilda, mais c’est une autre histoire.
Une autre ou la même : Hôtel Brasilia n’est-il pas précisément cette narration mêlée, à toutes les échelles, de ce qu’ont vécu, vu et entendu les individus sans importance emportés dans cette épopée dont on n’a plus idée ? Et c’est aussi un récit partagé, problématique, entre père et fils. Moacyr, psychiatre de formation, s’est improvisé historiographe de Brasilia. Plus exactement, il a pour mission de consigner les paroles mémorables des hôtes de marque, qu’il accompagne pendant leur visite. Et le livre se présente comme la transcription d’un blog, simplement « révisée » par João Almino. Un dispositif qui, loin de se réduire à un truc narratif, procure la distance suffisante pour visiter l’envers de l’ultramodernisme : les prophètes, illuminés en tout genre comme ceux qui vont fonder, au plus profond du pays, la « Ville éclectique », peuplée d’adeptes de ceux qui prennent ce qu’il y a de mieux dans chaque religion. Envers et endroit se combattent jusqu’à une tragédie peut-être rêvée, d’où va naître, en fin de compte, l’envie du fils de prendre le relais du père en racontant à son tour. On ne résiste pas au plaisir de ce récit virtuose, sensible, plein d’humour, très précisément ancré dans l’histoire du Brésil et notre modernité commune. João Almino nous accueille ainsi dans un hôtel aux nombreuses chambres, dont on se fait volontiers le client.
Alain Nicolas